Arno, le plus beau, est au ciel, il nous a quitté, il a pris le large… En plus de toute l’attention que les médias ont porté à juste titre à ce musicien impressionnant, je tente d’ajouter ma pierre à l’édifice, d’une part en tant que promoteur de cette AB qu’il chérissait tant, et d’autre part en tant qu’ex-manager de tournée de T.C. Matic que moi, j’aimais tant.
par Marc Decock / © Willem Govaerts
C’est sans doute au Velodroom d’Ostende que j’ai vu Arno pour la première fois. Je n’en suis pas tout à fait sûr, c’était il y a longtemps. Son duo Tjens-Couter avec Paul Couter – lui aussi, courageux jusqu’à son dernier souffle – m’avait déjà beaucoup plu sur la scène du Stuk à Louvain… Arno y était en chaussettes.
Les téléphones à cadran rotatif
Quelques années plus tard, le plaisir est encore monté d’un cran quand T.C. Matic a sorti Oh La La La. Il nous arrivait (je parle ici surtout d’Eric Meersmans, l’actuel manager horeca de l’AB, et moi-même) de partir en tournée avec le groupe en tant que roadie. Après un accident et trois mois de revalidation, Arno m’a promu au titre de manager de tournée. Merci, putain ! J’aime imaginer que j’étais peut-être le premier du pays ? C’était une époque passionnante : on n’avait ni ordinateurs, ni fax, ni GSM, ni GPS, ni bus de tournée locaux… Par contre, des téléphones à cadran rotatif, des frontières à traverser et des monnaies étrangères en veux-tu en voilà, ou encore ces fichus documents pour la douane comme le carnet ATA, ça on avait à foison… Heureusement qu’il y avait la poste et des copy shops, même s’il fallait quand même passer quelques coups de fil pour s’assurer que tout le monde avait tout reçu…
C’est surtout sur l’axe Scandinavie, Pays-Bas et France que nous avons profité de près de 300 concerts d’une intensité incroyable, notamment à l’AB, à une époque où les loges se trouvaient encore sous la scène. Il n’y a eu qu’un concert que le groupe n’avait pas tellement envie de donner, le dernier dans la célèbre ville de Christiania à Copenhague, on n’arrivait même pas à trouver la salle « au milieu de toute cette drogue » : c’est la seule fois qu’on n’a pas tardé à rentrer après le concert et qu’on s’en est mordu les doigts.
Un autre grand moment : un festival lessivé par la pluie en Allemagne, où la tête d’affiche Rod Stewart voulait changer d’horaire avec nous. Sans succès ! C’est ce jour-là qu’on a appris qu’il valait mieux jouer en avant-dernier : il reste encore un rayon de soleil si on a de la chance, puis on peut laisser la place aux lumières, il ne fait pas encore trop froid, le public n’a pas encore trop bu et on rentre avant les embouteillages.
Jean-Marie a gardé ma casquette
Mais que pouvais-je donc bien faire pour Arno ? Avec T.C. Matic, on avait un rituel juste avant le concert : le « manager de tournée » apparaissait sur scène muni de bandes adhésives pour attacher le micro à son pied. Cela donnait l’impression que quelque chose de risqué allait se passer, me disais-je, et c’était vrai, car ce pied de micro était vraiment balancé dans toutes les directions pendant le concert, y compris vers le public.
Après, je me cachais de nouveau derrière les coulisses, je restais attentif et j’en prenais plein la vue. Il y avait Rudy qui envoyait les grooves de batterie les plus dingues en étant encore capable de lancer un clin d’œil, sacré Ferre qui, un jour, avait « accéléré » le tempo pour les beaux yeux d’une dame en face de lui, super Serge qui voulait toujours un clavier dernier cri (et dont il me reste donc encore le Korg MS-20) et Jean-Marie, la star de la guitare qui, je l’espère, a toujours ma casquette (sans vouloir changer de sujet et tomber dans le sentimental, ma bonne vieille grand-mère Hélène Willaert avait un salon de coiffure avec un magasin de casquette en annexe).
Dans le magnifique documentaire Charlatan sur Canvas, Arno jure que le son de T.C. Matic était capable de faire s’envoler une perruque. Aux Pays-Bas, j’ai un jour entendu dire : « nou je kunt er tegen leunen » (en français : on pourrait presque s’appuyer dessus). Pour ce faire, on travaillait main dans la main avec l’entreprise limbourgeoise EML qui avait réussi à dénicher des caissons de basse qui étaient aussi utilisés dans des films catastrophe : un succès… tonitruant, c’est le cas de le dire.
Mais que faisais-je encore pour Arno ? Après un concert, il m’arrivait d’aller demander le numéro de téléphone d’une jolie fille qu’il avait remarquée. Le lendemain, il fallait qu’on reparte à temps, si possible au complet.
Des vinyles pour les douaniers
Encore une anecdote : le ferry de nuit entre Stockholm et Helsinki, avec ses deux discothèques et du monde qui n’était là que pour faire la fête. Et voilà un vaillant groupe de rock ‘n roll belge dont le chauffeur de bus apparaît vêtu d’un costume tyrolien de la tête aux pieds : bingo, une blondinette dans la poche ! Nous avons aussi poussé la porte d’EMI Finlande, qui n’avait vraiment pas l’air de nous attendre avec impatience. Mais avant de partir en tournée, on pouvait toujours compter sur EMI Belgique pour tout ce qui était vidéo (on ne se lassait pas de regarder Conan Le Barbare dans le bus de tournée) et une pile de vinyles gratuits (même de Cliff Richard, s’il le fallait) pour amadouer les douaniers.
Pause ! 15 minutes avant et après le concert : aucune personne extérieure au groupe n’était admise dans les loges. C’est une chose que j’ai imposée pour le bien de l’esprit d’équipe. Avant le concert incroyable au Seaside, Arno s’était d’ailleurs laissé ligoter. La libération, sur scène, avait été d’autant plus intense. On avait un jour essayé de faire pareil avec la légende ostendaise Freddy Cousaert. Impossible : lui, rien ne le retient.
Les grandes scènes n’ont jamais été un problème, au contraire, mais commencer petit, c’était vraiment bien, surtout avec les lumières blanches assez révolutionnaires et sensuelles de Danny Willems ou Marcel Vanthilt, même quand on devait se débrouiller avec sept spots (une chaleur insupportable !).
Pourquoi tournions-nous en Scandinavie en plein hiver ? « Parce ça nous évitait de devoir chauffer chez nous. » Pourquoi Arbeid Adelt était-il l’avant-programme idéal ? Deux gars sur scène, « des amis de la maison », et puis, ça cassait vraiment des briques, et Marcel pouvait même se mettre aux lumières après avoir joué son propre set !
Enfin, il y a eu cette dernière tournée avec Simple Minds, mais avant, une sérieuse tentative avec PIL, qui aurait sans doute été plus joyeuse.
Avec ABBA dans une boîte à disques
Que pouvait-on faire de plus pour Arno ? Il a continué à rugir sous son propre nom, se rapprochant de plus en plus du succès de son groupe fétiche, ABBA. Points culminants : les concerts à guichets fermés à l’AB. Cerise sur le gâteau en ce qui me concerne : ma contribution au récent projet Tjens Matic, alias le « best of » de toute sa carrière. Et les trois (derniers) concerts de janvier 2020, avec Paul Couter en avant-programme. Les deux grands amis savaient déjà ce qui les rongeait.
Arno s’était aussi largement engagé aux côtés de Kom Op Tegen Kanker, Amnesty International, le politiquement chargé 0110… Axelle Red ou Tom Barman étaient les bienvenus, mais Arno s’amusait aussi comme un fou avec Adamo, Rocco Granata… et même Eddy Merckx !
Ou quelque chose d’encore plus personnel : Ha Ha avait toujours été mon morceau préféré, quel honneur pour moi lorsqu’ils le jouaient en fin de concert.
Ou non, autre chose : la naissance de ma cadette, Vivian Lili, le samedi 2 juin 2007. Elle était prévue pour le vendredi 1er juin, mais finalement, la maman et le gynécologue ont encore pu profiter d’un concert d’Arno ce jour-là, confortablement installés au balcon. Et le samedi, en apprenant la nouvelle, Arno n’a pas pu s’empêcher de demander si ma femme avait perdu les eaux pendant le concert. Quel homme à femmes, celui-là, bien essayé !
Et quelque part, à l’arrière d’une Berlingo rouge, se trouve un autocollant T.C. Matic original. Ce genre de détails, quoi.
Arno à l’AB, c’est aussi le directeur technique Marc Vrebos, qui a un jour programmé T.C. Matic à Leefdaal, ou le directeur artistique Kurt Overbergh qui, encore à ses débuts, était allé voir le groupe à Hof Ter Lo mais n’avait pas reconnu Arno tout de suite : il « regardait avec attention » l’avant-programme. Ou encore Bram l’ingé son, qui travaillait à la fois pour l’AB et pour Arno… Ou, ou… salut Arno0°.
Des histoires, il y en a encore.
Une dernière pour la route : l’AB aura toujours son T.C. Matic, Team Communication, Marketing & Ticketing ! ‘K zwèrnt! « Je vous le jure ! »
Merci hotverdomme, aussi pour ce bouquet final incroyable !