Il n’avait jamais été très loquace. Attentif, ça oui. À chaque fois qu’on se rencontrait – dans sa patrie islandaise, à l’Ancienne Belgique ou lors de festivals à l’étranger –, je puisais l’énergie de notre échange dans l’étincelle qui brillait au fond de ses yeux. Car elle parlait, elle. Dans les discussions, Jóhann était surtout de nature réceptive. Il écoutait, absorbait. Tout. Sa communication ne passait jamais par la « conversation ». Elle passait par sa musique. Et celle-ci était incroyablement pure. Minimale. Souvent rigoureusement minimaliste.
Quand j’apprends la nouvelle de sa mort soudaine, lors du concert de Tamino à Charleroi samedi dernier, je suis confus. Elle frappe d’autant plus fort qu’il a le même âge que moi – à peine 48 ans. J’envoie aussitôt un SMS à son meilleur ami Adam Wiltzie (A Winged Victory For The Sullen), dont j’apprends qu’il se trouve à L.A. chez son agent américain. « C’est pas vrai… ? » –Bip- : « I am truly gutted. Put on some of his music today a.u.b. » Ma gorge se noue. Ce soir-là, nous faisons office de DJ au club Eden. Nous mettons aussitôt « Odi Et Amo » de Jóhannsson, le titre d’ouverture sublime de son premier opus « Englabörn ». Un titre qui, s’avère-t-il, répond parfaitement au set de Tamino. La salle plonge dans le silence. Un silence soudain glacial.
Et je songe. Je songe à ses trois concerts à l’AB. C’était en 2009, 2011 et 2012. Dans la superbe compagnie des maîtres de l’electronica Fennesz et Jon Hopkins, et des minimalistes classiques Hauschka et Dustin O’Halloran. La musique était sa langue. Sa grande histoire. Comme en témoigne notamment son opus « Fordlandia » (2008) sur l’utopie ratée d’Henry Ford, qui avait rêvé de construire la ville américaine par excellence dans l’Amazonie brésilienne. Ou encore « IBM 1401, A User’s Manual » (2006), un hommage au tout premier ordinateur IBM importé en Islande par son défunt père en 1964.
Vous ne connaissez pas Jóhann Jóhannsson ? La prochaine fois que vous marcherez dans la neige, écoutez-la craquer sous vos pas.
Une sensation qui, dans notre pays, s’offre si rarement à nous dans le courant d’une année.
Cette sensation, chérissez-la. Car c’est elle qui vous rapprochera le plus de Jóhann Jóhannsson.
Kurt Overbergh
Directeur artistique