Alors que le Brexit se dessine à l’horizon, que l’Alabama vote la loi anti-avortement la plus répressive des États-Unis et que le racisme pointe encore et toujours le bout de son nez, ces trois artistes affûtent leur plume et font déferler une vague protestataire sur la musique actuelle.
Le duo londonien Farai chante les frustrations politiques et sociales à la faveur d’une poésie chauffée à blanc. « Theresa May, do you know how it feels to count days and hours till payday? », hurle Farai Bukowski-Bouquet en apostrophant le premier ministre britannique dans sa chanson « This Is England ». Elle fait partie de NON Worldwide, un collectif aux racines africaines qui marie les sonorités electronica les plus fascinantes de la planète, en y associant une opinion politique bien tranchée. Ces points de vue imprègnent aussi le merveilleux premier album de Farai, intitulé Rebirth et signé sur Big Dada.
Simbi Ajikawo utilise également ses textes pour s’exprimer sans fard. Du haut de ses 25 ans, la MC londonienne nous livre avec GREY Area l’un des meilleurs opus de l’année. Elle s’en prend à une société qui, en 2019, n’arrive toujours pas à garantir l’égalité des chances entre hommes et femmes. Ainsi, la scène rap dominée par les hommes catalogue souvent Little Simz comme « UK female MC » – ce qui, d’après elle, n’a aucun sens. Sur Venom, elle évoque son combat psychologique avec soi-même, sa reconnaissance en tant qu’artiste et l’influence d’une critique musicale essentiellement masculine :
« Fuck those who don’t believe
They would never wanna admit I’m the best here
From the mere fact that I’ve got ovaries
It’s a woman’s world, so to speak
Pussy, you sour
Never givin’ credit where it’s due ’cause you don’t like pussy in power » – Venom
Elle se moque des attentes de la société vis-à-vis des femmes : « I don’t need stress, that stress. I’m a boss in a fucking dress. » – Boss
Et elle promet de faire mieux avec sa future fille, en lui apportant l’aide et en lui inspirant la confiance nécessaires :
« Teach my daughter about the wonders of the world, I’m convinced
If she’s anything like me I’m raisin’ a king » – Therapy
Sa plume affûtée et ses beats influencés par la musique noise et le funk en font l’une des figures les plus intéressantes de la scène hip-hop actuelle.
L’activiste/chanteuse soul originaire de Chicago Jamila Woods emprunte une voie différente. Elle creuse la riche histoire culturelle afro-américaine et contribue ainsi à son avenir. Sur son deuxième opus, intitulé LEGACY! LEGACY!, chaque titre porte le nom d’une icône culturelle aux racines africaines.
Poétesse très en vue, Sonia Sanchez est mise à l’honneur sur cet album. Celle qui pose un regard franc sur le racisme et l’esclavage en Amérique a permis à Jamila d’embrasser, plutôt que d’éviter, ce passé douloureux.
L’histoire de Betty Davis, épouse du célèbre trompettiste Miles Davis, reste d’actualité : le public avait du mal à supporter sa musique très funk & soul et ses performances sensuelles sur scène. C’est cette intimidation ressentie par les hommes face aux femmes fortes, également soulevée par Little Simz, que Jamila évoque dans ses morceaux :
« What is it with you independent men? It’s always something
Threatening your masculine energy, you think it’s fleeting
Nothing you ain’t give to me I can take away from you now
Let me be, I’m trying to fly, you insist on clipping my wings. »
Zola Neale Hurston, Nikki Giovanni, Sonia Sanchez, Frida Kahlo, Eartha Kitt, Miles Davis, Muddy Waters, Jean-Michel Basquiat, Sun Ra, Octavia Butler et James Baldwin sont autant de figures qui apparaissent sur LEGACY! LEGACY!, un album féministe et hautement personnel.