ï»ż"Je ne suis pas vraiment fan du mot « fĂ©minisme », car en raison de son histoire blanche, il exclut non seulement les hommes mais aussi les POC, les femmes transgenres, etc. Cela devrait Ă©galement les concerner. Le fĂ©minisme intersectionnel offre des alternatives."
Avec Faces of AB, nous allons Ă la rencontre dâun habituĂ© ou une habituĂ©e de lâAB. Ensemble, nous Ă©voquons Bruxelles, cette drĂŽle dâĂ©poque que nous vivons, et notre salle emblĂ©matique. Pour cette Ă©dition, nous avons donnĂ© rendez-vous Ă Anne Ballon.
Je suis Anne Ballon, jâhabite Ă Koekelberg et je suis rĂ©alisatrice. Jâai Ă©tudiĂ© la fiction au RITCS, mais je mâintĂ©resse actuellement davantage aux documentaires. Je viens de commencer un nouveau travail au VLESP (le centre dâexpertise flamand pour la prĂ©vention du suicide), oĂč je vais dĂ©velopper une campagne de prĂ©vention axĂ©e sur les hommes. Jâai par ailleurs repris des Ă©tudes de genre et diversitĂ© Ă lâUniversitĂ© de Gand cette annĂ©e.
Â
Mon dernier projet est un documentaire pour enfants Ă propos mes deux sĆurs, dont lâune est transgenre. Dans ce cadre, jâai souvent Ă©tĂ© en contact avec des organisations et partenaires actifs autour de ce thĂšme. Jâestimais avoir la responsabilitĂ© de mâinformer sur le sujet, parce que je voulais que mon travail soit socialement pertinent, mais aussi pour ĂȘtre sĂ»re de bien comprendre le contexte. Raison pour laquelle jâai repris des Ă©tudes.Â
Â
Ma sĆur aĂźnĂ©e est transgenre et, personnellement, ce qui mâa manquĂ© dans les mĂ©dias, câest le point de vue dâun membre de la famille sur ce passage. Car on est embarquĂ© dans un processus qui nâest pas toujours facile. En gĂ©nĂ©ral, la personne transgenre et sa transformation corporelle sont au centre de lâattention. Moi, je voulais aborder les choses sous un autre angle. Dans « Jules & Ik », lâhistoire est vĂ©cue Ă travers les yeux de ma petite sĆur. On dĂ©couvre comment elle vit la transition et les changements dans la dynamique familiale. Comme lâattention se concentrait sur ma grande sĆur et sa transition, ma petite sĆur sâest souvent sentie mise Ă lâĂ©cart. Câest vraiment un documentaire : je me suis rendue dans lâappartement de ma mĂšre avec ma camĂ©ra et jâai filmĂ© diffĂ©rentes situations. Certaines sont parfois lĂ©gĂšrement mises en scĂšne, mais les meilleures se sont rĂ©ellement produites, sans que ce soit prĂ©vu.
Â
Jâai travaillĂ© pendant un moment Ă lâAB CafĂ©. CâĂ©tait vraiment chouette, nous Ă©tions une super Ă©quipe. Jâai gardĂ© beaucoup dâamis de cette Ă©poque. Jâallais donc dĂ©jĂ souvent Ă lâAB mais, aprĂšs cette pĂ©riode, jây allais encore plus, que ce soit pour un concert ou pour discuter avec dâanciens collĂšgues. Certains concerts dans la grande salle mâont vraiment marquĂ©e. Jâai adorĂ© Run The Jewels, mais aussi Amenra, alors que de base ce nâest vraiment pas mon truc. Je mây suis rendue Ă lâimproviste, aprĂšs le boulot, et câĂ©tait fantastique.
Â
Quand je travaillais Ă lâAB CafĂ©, jâai dĂ©cidĂ© avec deux copines de pĂ©daler avec lâAB team au profit de Kom Op Tegen Kanker, parce que nous trouvions quâil nây avait pas assez de femmes dans le groupe. Nous avons continuĂ© Ă le faire chaque annĂ©e. Je ne pense pas quâon ait jamais atteint les 1 000 kilomĂštres, mais on est quand mĂȘme arrivĂ©es Ă 600. Cette annĂ©e, nous avons rĂ©coltĂ© des fonds autrement : nous avons prĂ©parĂ© des gaufres que nous avons livrĂ©es Ă domicile Ă Bruxelles, Ă vĂ©lo. Cette action a pris une dimension personnelle lorsquâune amie commune a appris quâelle avait la maladie de Hodgkin (une forme de cancer). Nous nous sentions vraiment unies autour de cette bonne cause. Depuis, nous avons reçu une trĂšs bonne nouvelle : elle est en rĂ©mission.
Â
Jâai grandi Ă Aarschot, mais jâhabite Ă Bruxelles depuis 10 ans dĂ©jĂ . Je mây sens chez moi, surtout depuis que ma famille y vit aussi. En fait, jâai assez bien vĂ©cu le dĂ©but du confinement ici : je me suis isolĂ©e avec quatre colocataires et mon copain dans notre maison avec jardin. Et maintenant que les terrasses ont rouvert, je commence dĂ©jĂ Ă oublier Ă quel point Bruxelles a Ă©tĂ© sinistre et triste pendant une si longue pĂ©riode, surtout au plus fort de lâhiver. DĂ©sormais, on peut de nouveau tomber sur des gens quâon connaĂźt en rue et se mettre Ă discuter. Le premier jour de la rĂ©ouverture de lâhoreca, jâai rencontrĂ© de nombreux anciens collĂšgues de lâAB : des gens que je croisais habituellement toutes les semaines dans le centre et que je nâavais plus vus depuis un an et demi.
Mon prochain projet sera un documentaire sur les pĂšres cĂ©libataires et lâinfluence de cette situation sur la façon dont ils vivent leur masculinitĂ©. Il y a un lien avec la campagne de prĂ©vention pour le VLESP. Le taux de suicide chez les hommes est en effet bien plus Ă©levĂ© que chez les femmes, et cette inĂ©galitĂ© me prĂ©occupe. Je trouve plus intĂ©ressant dâessayer de comprendre les hommes que de simplement les dĂ©crire. Je ne suis pas vraiment fan du mot « fĂ©minisme », car en raison de son histoire blanche, il exclut non seulement les hommes mais aussi les POC, les femmes transgenres, etc. Cela devrait Ă©galement les concerner. Le fĂ©minisme intersectionnel offre des alternatives. Et le dĂ©fi consiste justement Ă leur faire comprendre que le monde idĂ©al que nous prĂŽnons, en tant quâ« adeptes de lâĂ©galitĂ© des sexes », peut aussi ĂȘtre meilleur pour eux. Le fait de pouvoir montrer davantage ses Ă©motions et oser en parler, par exemple, peut ĂȘtre trĂšs prĂ©cieux. Les hommes sont les produits dâune sociĂ©tĂ© patriarchale qui les façonne depuis leur naissance. Je peux comprendre quâil soit difficile de sortir de ce schĂ©ma.
Vous pouvez regarder « Jules & ik » gratuitement ici!
Interview: Lara Decrae
Photos: Lien Peters